Takanohana, la dernière légende du sumô
La lettre de démission de Takanohana a surpris tout le monde cette semaine. On savait que le 65ème yokozuna était en désaccord avec la direction de la NSK, on savait aussi que la récente affaire de coups assénés à un jeune par un lutteur de sa heya avait aussi ébranlé sa position.
Pourtant, si un lutteur pouvait représenter le sumô dans sa tradition, dans sa continuité, c’est bien lui.
Takanohana Kōji (dit Takanohana II), né Hanada Kōji est né le 12 août 1972 à Tokyo, et il est le dernier d’une grande lignée de lutteurs de la même famille.
Son oncle fut yokozuna, son père fut ôzeki, et son frère fut aussi yokozuna, ce qui démontre la place qu’a pris la famille Hanada dans le monde du sumô professionnel depuis 72 ans.
Son oncle est le 45ème yokozuna, Wakanohana Kanji (aussi appelé Wakanohana I), né Hanada Katsuji en 1928 à Hirosaki, petit village de la préfecture d’Aomori dans le nord de la grande île d’Honshu. Il rejoignit le monde du sumô juste après la guerre en 1946, et fut promus yokozuna douze ans plus tard en 1958 avant de se retirer en 1962. A l’époque de la reconstruction du Japon, il est devenu un des héros d’après-guerre grâce à la généralisation des retransmissions radiophoniques des tournois.
Le frère de Wakanohana Kanji avait vingt-deux ans de différence avec son frère aîné : Takanohana Kenshi (Takanohana I), né Hanada Mitsuru, surnommé « le Prince du Sumô », est né en 1950, et entra en 1968 à la Futagoyama beya, tenue par son frère aîné. Réputé pour sa technique, il a vu malgré tout sa carrière barrée au plus haut niveau par deux lutteurs d’exception : Wajima le 54ème yokozuna, et Kitanoumi, le 55ème. Il fut donc contraint de conserver le grade d’ôzeki sans jamais accéder à la plus haute distinction. Il arrêta sa carrière en 1980, et racheta les droits du kabu (nom d’ancien) Fujishima puis celui de son frère Futagoyama, lui-même arrivé à la limite d’âge, ce qui lui permettra de devenir oyakata, de siéger au conseil d’administration de la NSK, et de se consacrer à la Futagoyama beya pour former de jeunes lutteurs.
Takanohana Kenshi est donc le père de Takanohana Kōji, et de son frère cadet Wakanohana Masaru.
Les deux garçons, qui ont baignés tout jeune dans l’univers du sumô, rejoignent la heya de leur père en 1988, à 17 ans pour Wakanohana et seulement 16 ans pour Takanohana. A partir de ce moment, les deux frères ne s’adresseront plus à leurs parents que sous les termes « oyakata » et « okamisan », marquant ainsi la fin de leur vie familiale.
Seulement 2 ans plus tard, Wakanohana devient lutteur salarié en entrant chez les Juryô, et remporte son premier tournoi de cette catégorie dès sa deuxième participation, ce qui va le propulser directement chez les Makuuchi. Il ne met que deux ans à atteindre les rangs des San’yaku et remporte son premier grand tournoi en Mars 1993 à Osaka. Suivront quatre autres coupes de l’empereur et un titre de yokozuna en Mai 1998.
Son frère cadet, le Takanohana Koji dont nous parlons aujourd’hui, a été encore plus précoce que son aîné, atteignant les Juryô en 1989, les Makuuchi fin 1991, remporte le premier de ses vingt-deux tournois en Janvier 1992, avant d’atteindre le titre suprême en Novembre 1994. Il le portera jusqu’à sa retraite en 2003.
Les deux frères Hanada sont arrivés sur la scène dans les années 90, à un tournant de l’histoire du sumô : après la radio, c’est désormais la télévision qui va reprendre les droits de diffusion, sacralisant les lutteurs et promouvant les plus fameux d’entre eux à un statut de célébrité nationale, voire internationale. Car à la même époque, c’est aussi l’ouverture sur le monde qui va bouleverser les habitudes japonaise de la NSK. Les reportages télés, repris par les médias étrangers, font découvrir l’extraordinaire spectacle des combats de sumô aux spectateurs du monde entier, et attirent ainsi des nouveaux lutteurs, au premier rang desquels on trouvera les Hawaïens, avant que les mongols reprennent le flambeau. C’est la période dorée du sumô pendant laquelle Takanohana deviendra la légende qu’il est maintenant, commençant dès mai 1991 par sa victoire contre l’idole des années 80, l’extraordinaire 58ème yokozuna Chiyonofuji, qui a régné sur le sumô avant lui pendant 10 ans.
Le dernier combat Chiyonofuji – Takahanada :
A la fin de sa carrière Takanohana souffrira de nombreuses blessures dont une au genou qui l’obligera à se retirer en 2003. Avant cela, il disputera encore plusieurs combats dont un, resté fameux, contre l’autre yokozuna hawaïen Musashimaru en Mai 2001 et qui verra la victoire du Japonais au finish avec un genou quasiment inopérant ; on retrouve les commentaires de l’époque sur www.sumofr.net :
« Les derniers combats entre les deux yokozunas ont atteint un sommet de tragédie rarement atteint jusque-là : en effet, Takanohana est arrivé blessé aux tendons du genou droit avant le premier combat contre son rival Musashimaru. Ce dernier, profitant de cette blessure, va expédier rapidement la lutte et bat son ainé. On se dit alors que le yûshô est à portée de l’hawaiien, mais c’était sans compter le formidable esprit de combativité du pensionnaire de Futagoyama-beya, qui oublie alors sa douleur pour foncer et gagner le kettei-sen. »
Le 15ème combat du Natsu 2001 :
Le kettei-sen du Natsu 2001 :
Lorsqu’il prend sa retraite et effectue son dampatsu-shiki, la cérémonie est suivie par des milliers de fans sur Fuji-TV qui la retransmet en direct.
Takanohana sera le dernier yokozuna japonais avant l’avènement de Kisenosato en 2017.
Interview de Takanohana par JapanTimes le 7 Mars 2003
Takanohana va ensuite essayer de profiter de sa notoriété pour influer sur la politique de la NSK. Après sa retraite de lutteur, cette dernière lui permet à titre exceptionnel d’utiliser son nom de lutteur comme kabu et il devient Takanohana oyakata, puis il se sépare de la Futagoyama beya et créé sa propre écurie.
Intégré au conseil de la NSK, il prend des fonctions internes de juge et de responsable de juges. Il essaye de présenter sa candidature au bureau des directeurs, mais sa position très réformiste est mal vue et la direction de la NSK essaiera systématiquement de l’écarter.
Suite à plusieurs affaires pendant lesquelles Takanohana voudra rendre public des faits que la NSK souhaitait garder internes, il est démis de ses fonctions et rétrogradé au niveau le plus bas de l’organisation des oyakata.
Enfin, suite à un dernier incident, le yokozuna a finalement remis sa démission à la NSK. Sa heya serait dissoute et ses lutteurs dispersés dans d’autres heya.
Takanohana avait certainement, due à sa longue expérience dans l’environnement du sumô, en tant que lutteur, fils de lutteur, oyakata et juge, une vision particulière de ce milieu, dont il critiquait ouvertement les règles traditionnelles, obscurantistes voire mafieuses dans certains cas. Il a toujours voulu d’abord moderniser le sport, protéger les jeunes lutteurs et leur assurer un avenir après le sumô. Gardons en mémoire que les rikishi lorsqu’ils arrivent en fin de carrière, n’ont rigoureusement aucune formation leur permettant de commencer un nouveau métier. Mais si le lutteur avait brillé quand a sa technique et son courage, il n’a pas eu le sens politique qui lui aurait sans doute permis de réorienter la NSK sur de nouvelles base et lui permettre un avenir plus serein.
Bien sûr, Hanada Koji est encore vivant et nul doute qu’il bénéficiera d’une tribune extérieure grâce à laquelle il ne se gênera plus pour dénoncer les errements de l’association japonaise. Mais si sa démission est acceptée, ce sera bien la fin définitive du yokozuna Takanohana Koji, relégué au rang de relique historique.
En cadeau : le yokozuna dohyô-iri de Takanohana au tournoi exhibition de Paris-Bercy 1995 :