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Nagoya Basho 2013, immersion au cœur du tournoi

Récit d’une journée au Nagoya basho 2013

par Guillaume Rosenfelder

Un soleil de plomb, une humidité qui atteint des sommets, une chaleur étouffante. Voilà un résumé de ce qu’est l’été japonais, et particulièrement à Nagoya, ou se tient le basho au mois de juillet. On courrait presque jusqu’au Gymnase Préfectoral d’Aichi pour se mettre enfin à l’abri du soleil, si courir ne faisait pas qu’aggraver les choses.

Le basho de Nagoya a ceci de particulier que sa situation géographique participe d’une ambiance unique. Bien que situé en plein cœur de la 4ᵉ ville du Japon, le gymnase a été construit au sein du parc du château de Nagoya. Après avoir longé le parc, puis franchi douve et muraille, on accède à l’entrée d’une grande esplanade. De part et d’autre les fanions multicolores des rikishis tranchent sur le ciel bleu, et au milieu de cette grande place cernée d’arbres et de « vieilles » pierres, le gymnase. Et même si le bâtiment en lui-même n’a pas d’intérêt architectural particulier, s’extraire de l’urbanité tourbillonnante de ce quartier de bureaux et d’administration pour rejoindre le lieu des combats offre au spectateur une forme de sas de décompression, qui participe de le mettre dans l’ambiance : laissons tout le reste derrière nous, maintenant place au sumo !

Après avoir acheté sa place, on récupère le kit de bienvenue : une bouteille d’eau, un sembei, une serviette pour s’éponger et un éventail, le tout aux couleurs du Bashô. La chaleur et l’humidité sont tellement fortes que les organisateurs prennent soin de leurs spectateurs. Puis, on rentre, on s’installe… pas à sa place, tant qu’à faire, si de meilleures sont libres !

Et que le spectacle commence, sur et en dehors du dohyo….

Car outre le sport, assister à un tournoi de sumo est une formidable occasion d’observer les gens. Les Japonais bien sûr, mais aussi soi-même à travers les nombreux gaijin qui viennent aux combats.

Si l’on arrive dès le matin, on remarque d’abord que la moyenne d’âge est assez élevée.

En effet, même si le sumo reste un sport populaire, son attrait dans la population japonaise tend à se restreindre et la fédération peine à attirer les jeunes générations aux combats. D’ailleurs dans l’après-midi, dans un box voisin, un gamin à qui les parents ont payé sa place, passera quatre heures à jouer à la Nintendo, tournant le dos au dohyo

Dans la matinée, on voit donc surtout des bandes de retraités (portant inévitablement chapeaux, bobs ou casquettes) dans les travées. Ainsi, vers 11 h 30, un petit groupe d’octogénaires débarque et s’installe dans un box tout proche du dohyo. Aussitôt arrivés, ils déballent yakisoba, maki et autres douceurs, ainsi qu’une cargaison de canettes de bière et deux grosses bouteilles de sake. Le festin peut commencer : nos fringants papys font ripaille, discutent vivement et regardent à peine les combats. Environ une heure et demie plus tard, les premiers tombent au champ d’honneur, et à 13 h 30 tout ce petit monde dort à poings fermés.

L’audience rajeunit et se diversifie peu à peu au cours de l’après-midi, avec toujours d’intéressantes scènes à observer.

Tel ce « vieux beau », habillé trop jeune et trop voyant, qui amène une jeune beauté aux combats – et qui probablement paye tout.

Tels ces 3 salarymen qui viennent repérer leur box, en milieu d’après-midi, puis s’en vont. Arrive un homme en costume qui s’installe à cette place, puis un autre – et les deux ont l’air de ne pas se connaître. Les salarymen précédemment cités (2 seulement cette fois) reviennent les saluer, donnent leurs cartes de visite, partent leur acheter bière et nourriture, et retournent à leur place, tout en haut, dans les gradins sans réservation, où ils restent finalement debout car tous les sièges sont occupés, regardant régulièrement vers leurs « invités » pour vérifier que tout se passe bien.

Ou encore telles ces jeunes Japonaises en kimono, qui font une sortie entre couples avec leurs conjoints respectifs et rient avec la main gracieusement postée devant la bouche pendant qu’elles mangent.

Et puis les gaijin, évidemment (dont l’auteur de ces lignes fait évidemment partie) : les gaijin qui arrivent à 13 h 00 et partent à 16 h 30, juste avant les makuuchi… Les gaijin qui n’enlèvent pas leurs chaussures dans le box… Mais aussi cette famille d’Américains charmants, en chaussettes, mangeant des makis arrosés de Kirin et de Coca-Cola, et applaudissant avec enthousiasme après chaque combat.

Et au milieu de tout ça, les « livreurs » de bento qui courent, naviguant entre les spectateurs, les bras chargés de victuailles.

Et les combats, dans tout ça ? Voir les rikishi s’affronter sous ses yeux est évidemment incomparable avec les retransmissions de la NHK. C’est aussi un bon moyen de mesurer la cote d’amour des lutteurs. Parmi les populaires, on remarquera ainsi Tanzo, Osunaarashi, Hômashô, Tenkaiho, Kotoôshû, Tamaasuka, Tochiôzan… Hors-catégorie, bien bien sûr Kisenosato (bien plus encouragé que Harumafuji… et qui d’ailleurs gagnera son combat contre le yokozuna), Hakuho… et plus étonnant, Ikioi! Le lutteur d’Osaka ayant même son fan-club, avec un « chant » à sa gloire.

Certains rikishi « travaillent » d’ailleurs un peu le public : Asahishô  lance le sel trèèèès haut, ce qui provoque applaudissements et exclamations du public, ou encore le populaire Kotoshôgiku, qui amuse le public.

À partir du milieu de l’après-midi, l’ambiance gagne progressivement en ferveur et en tension jusqu’au makuuchi. La salle est alors pleine à craquer, vibre comme un seul homme, et plus on grimpe dans la hiérarchie, plus les spectateurs s’expriment : les cris d’encouragements pour les rikishi fusent de toute part, les applaudissements se déchaînent après chaque combat… mais le plus impressionnant reste le silence : juste avant que les lutteurs ne s’élancent l’un contre l’autre, dans les secondes précédant l’impact, le silence est total, plus un son en provenance des milliers de spectateurs, plus un souffle, pas même un raclement de gorge. Jamais on n’entendrait mieux la proverbiale mouche voler….

Et après l’ultime victoire de Kisenosato, la journée se termine. Les gens s’en vont très vite, le dohyo est immédiatement recouvert de sa bâche de protection et entouré de ses gardes du corps. Quelques chaussures oubliées çà et là, des emballages de bento vides, des programmes abandonnés…  Voilà tout ce qui reste d’une journée de combats dans le Gymnase Préfectoral d’Aichi.

Mais d’autres choses restent également, plus importantes. Des images, des sons, des sentiments aussi… Dont celui, diffus, que le spectacle auquel on vient d’assister est unique, incroyable, essentiel même. Un sport à nul autre pareil, passionnant, rigoureux et palpitant. Un rituel millénaire empreint de sens, symbole d’une culture à part, et toujours d’actualité. Une fête, un moment de partage, ou l’on vient en famille ou entre amis, ou l’on mange, boit, parle et s’amuse.

Assister au basho, ressentir tous ses éléments se combiner tandis que nos yeux ne décollent plus du dohyo, c’est faire l’expérience d’une certitude commune à tous les amateurs, chevronnés comme néophytes, japonais comme gaijin : le sumo est un sport rare et précieux.

Article par G. Rosenfelder

Yohann

J’ai découvert le sumo lors du fameux tournoi de Paris et depuis je suis resté fasciné par toutes ces traditions et ces cérémonies au point de me consacrer pleinement à ce sport (lire la suite).

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