Tous les amateurs de sumo connaissent le livre écrit par Kirishima intitulé « Mémoires d’un lutteur de sumô ». La traductrice de cet excellent ouvrage, Liliane Fujimori, nous a accordé un peu de temps pour répondre à nos questions.
Bonjour Liliane Fujimori. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Liliane Fujimori : Je suis essentiellement traductrice de textes scientifiques et j’ai enseigné la langue et la civilisation japonaise à Paris pendant une dizaine d’années.
On vous connaît pour avoir fait la traduction française du livre de Kirishima “Mémoires d’un lutteur de sumô”, comment avez-vous été approchée pour ce travail ?
Liliane Fujimori : Il s’agit d’une initiative personnelle que j’ai entreprise pour faire connaître le sumô, encore assez mal vu à l’époque. J’avais d’abord proposé le manuscrit à certains autres éditeurs (ex. Albin Michel), qui l’ont refusé.
Quelles ont été les principales difficultés lors de cette traduction ?
Liliane Fujimori : Le langage « coloré » de Kirishima, très personnel, d’une richesse impossible à faire passer en français.
Vous tenez un site en français (et en japonais) sur Kirishima et sa heya, quels liens entretenez-vous aujourd’hui avec eux ?
Liliane Fujimori : Nous avions lié des liens d’amitié dès le départ avec la famille. Par la suite, nous avons fait connaissance avec les différents nouveaux disciples entrés chaque année. Depuis la grande crise de 2011 qui a vu la démission des plus douées de la heya, nos relations se sont un peu distendues, d’une part faute de temps disponible, mais aussi parce qu’il m’a été pénible de voir tous ces nouveaux visages alors que la plupart des vétérans en pleine ascension avaient été mis à la porte. Évidemment, nous continuons à nous voir chaque fois que notre emploi du temps le permet.
Avant de faire cette traduction, quelles connaissances aviez-vous du sumo ?
Liliane Fujimori : J’ai fait connaissance avec le sumô bien avant d’entamer cette traduction. Au début, j’avais d’énormes préjugés et ne voyais aucun intérêt à l’action que je trouvais inexistante. En effet, quand on doit suivre de longues minutes ces gestes rituels sans la moindre évolution, on a tendance à être distrait au moment décisif pour simplement se rendre compte que tout est déjà terminé.
À mon sens, le sumô n’est pas un sport de lutteurs anonymes : pour vraiment l’apprécier, il faut connaître les lutteurs, assez pour pouvoir s’identifier à quelques-uns d’entre eux. On se met ainsi à prendre parti pour l’un ou pour l’autre, et parfois, on tremble pour les deux à la fois — c’est là le summum du drame et c’est ce qui crée le suspense ! Il y a aussi ceux qu’on déteste et qu’on veut voir perdre : quel dépit quand celui-ci gagne ! Mais quelle satisfaction quand le favori l’emporte ! Bref, tous les sentiments humains y passent.
À quand remonte cette passion pour le sumo et comment vous est-elle venue ?
Liliane Fujimori : Ce n’est que vers 1993 que ma vision sur le sumô s’est mise à évoluer, c’est l’année où Kirishima a perdu son grade d’ôzeki. J’ai fini progressivement par comprendre que le sumô n’était pas un sport de brutes et qu’il n’y avait pas la moindre animosité entre les protagonistes (bien qu’à l’époque, on voyait beaucoup de gens qui cognaient pour gagner : par exemple Akebono, Kotonishiki).
Avez-vous découvert des choses sur le monde du sumo que vous ignorez ?
Liliane Fujimori : J’ai énormément appris en côtoyant le monde du sumô. Il me serait difficile de tout évoquer ici.
J’ai été étonnée par exemple de voir qu’on pouvait prendre Kirishima comme un exemple à suivre, car il ne me serait jamais venu à l’esprit de prendre un sportif pour un modèle. Mais à la réflexion, on peut concevoir que l’endurance, la ténacité dont ils font preuve conduit les spectateurs, par comparaison à relativiser et à surmonter les petits soucis de la vie quotidienne.
J’ai découvert aussi que l’agilité physique se traduisait également par une finesse d’esprit inégalable. Ils réagissent « au quart de tour », et comprennent une situation avant même qu’on se mette à la leur expliquer. Évidemment, mon expérience personnelle se limite en grande partie aux relations entretenues avec Kirishima et la Michinoku-beya. Pour être prosaïque, on pourrait dire que cela provient de leur vie en communauté, en présence constante des autres, de leurs compagnons de heya à leurs supporters, ce qui leur fournit un entraînement sans pareil dans les relations humaines. Un autre point qui mérite l’attention, c’est le sens de la camaraderie, non seulement entre compagnons de heya mais aussi parfois entre rivaux.
Kirishima fait partie de la période faste du sumo où ce sport était très populaire au Japon. Quel regard portez-vous sur ce sport aujourd’hui ?
Liliane Fujimori : Les professionnels attribuent la baisse de notoriété du sumô surtout au changement d’état d’esprit des jeunes générations, moins endurcies, qui ont tendance à tomber dans la facilité.
Il est difficile de parler de vraie perte de notoriété quand on voit qu’il reste malgré tout des dizaines de milliers de spectateurs qui suivent assidûment les représentations chaque jour pendant la quinzaine tous les deux mois.
Toutefois, il est possible qu’il manque en ce moment de vrais lutteurs charismatiques capables de mobiliser des foules et surtout les jeunes.
Des lutteurs favoris ? (passés et actuels)
Liliane Fujimori : J’ai regretté par exemple le départ avant l’heure d’Asashôryû, un lutteur avec du panache. Actuellement, je m’intéresse à quelques nouveaux visages tels que Jôkôryû, Endô, Oosunaarashi qui semblent faire montre de personnalité.
Des projets en rapport avec le sumo à venir ?
Liliane Fujimori : Pas de projet personnel, mais à ce propos, il me revient en mémoire qu’un réalisateur canadien se proposait d’acquérir les droits sur la biographie de Kirishima pour la porter à l’écran. Il y a de cela un certain temps déjà. Je n’en ai pas de nouvelles.
Merci beaucoup Liliane Fujimori d’avoir répondu à nos questions.
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