Banzuke

Le banzuke à l’ancienne ajoute une touche humaine au sumô

 

Le banzuke à l’ancienne ajoute une touche humaine au sumô
par John Gunning – traduit par Philippe Bezard-Falgas
Japan Times – 2 mai 2018

Article original

« Je ne peux pas faire ça pendant 10 ans. Je veux avoir un travail normal. Je veux vivre dans une maison normale. Je veux manger de la nourriture normale. Je veux vivre une vie normale.  »
Ce sont quelques-unes des dernières paroles prononcées par Takuya Ogushi dans le documentaire puissant et révélateur de la réalisatrice Jill Coulon « A Normal Life: Chronicle of a Sumô Wrestler » (En français : « Tu seras sumô » – NDT).

Ogushi a réussi à rester dans le sumô encore 10 ans, et lundi, sous le nom de Kyokutaisei, il a été promu à la plus haute division du sumô pour la première fois. Il devient également le premier natif de Hokkaido – la maison du légendaire trio de yokozuna Taiho, Kitanoumi et Chiyonofuji – à atteindre la division makuuchi en 20 ans. Bien qu’il ait admis ressentir la pression des attentes de son lieu de naissance, Kyokutaisei était tout sourire alors qu’il posait à son écurie avec le nouveau banzuke.

Tenir ce papier devant les photographes de presse en montrant votre nom est un classique du sumô pour ceux promus à des rangs importants. Il n’y a pas d’indication plus claire de votre progression que de montrer où vous vous situez parmi une liste complète des quelque 650 lutteurs de l’Association Japonaise de Sumô.

Il n’y a pas besoin de s’inquiéter pour en trouver une copie non plus.
« Pour le tournoi de mai 2018, 420 000 banzuke ont été imprimés », a déclaré Yoshitaka Tsuchiya, conservateur du musée du sumô au Ryôgoku Kokugikan.
« Cela change à chaque tournoi et le record a atteint le chiffre de 700 000 ».

Le jour où les classements sont annoncés, les lutteurs de rang inférieur le passent à plier des centaines de banzuke avant de les envoyer aux fans de leurs écuries. Cela fait partie du mode de vie des lutteurs de sumô depuis des générations, mais ces dernières années, une nouvelle mouture a été ajoutée à la tradition : passer la journée sur les médias sociaux à se plaindre d’avoir à plier des centaines de banzuke

Avant tout cela, ils doivent se rendre tôt le matin au Kokugikan pour récupérer le banzuke, car les impressions papiers ainsi que les informations correspondantes, sont diffusés à 6 heures du matin.
Pourtant, il n’y a pas que des lutteurs au QG du sumô. N’importe qui peut acheter des copies du banzuke et beaucoup de gens le font.

« Le nombre exact vendu au grand public varie également à chaque basho, mais pour le tournoi de mai 2018, il semble qu’il y en ait eu environ 25 000 », a déclaré Tsuchiya.
Les propriétaires de restaurants, en particulier ceux du quartier de Ryôgoku, aiment donner des banzuke comme souvenirs aux clients et cela représente un pourcentage important des ventes. Le banzuke, cependant, a été publié en continu pendant des siècles et, par conséquent, est un objet de collection précieux pour beaucoup.
« Nous estimons que le premier banzuke a été publié entre 1711 et 1716 », a déclaré Tsuchiya. « A cette époque, les classements des côtés est et ouest étaient imprimés sur des feuilles de papier séparées. Mais nous n’en avons pas dans le musée. Le plus vieux banzuke que nous ayons date de juillet 1721. »
Environ 4 600 banzuke imprimés sont stockés dans le musée avec en plus les versions originales de nombreux tournois. Ceux-ci sont quatre fois plus grands que les dimensions de 58 cm par 44 cm du banzuke imprimé et sont manuscrits en calligraphie spéciale par un arbitre de haut rang.
Chacun prend environ une semaine à être créé, après que le comité a décidé de sa composition.

Les promotions à la division juryô (deuxième niveau) ainsi que les nouveaux ôzeki ou yokozuna sont annoncées immédiatement, (en général juste après le tournoi- NDT) pour donner aux hommes en question le temps de préparer des tabliers cérémoniels, de mettre en place des groupes de soutien, d’organiser des soirées, etc. Ces lutteurs tiennent généralement une conférence de presse le même jour.
Le reste des classements reste cependant strictement secret jusqu’à environ 13 jours avant le tournoi suivant et deviner la composition du banzuke est devenue une autre version de jeu de sumô pour de nombreux fans. Et tout comme avec les brouillons, les suppositions sont souvent complètement  incorrectes…

Il y a des règles de base qui régissent le processus, comme les lutteurs avec un nombre de victoires supérieur aux défaites qui montent toujours et ceux où c’est l’inverse qui descendent toujours. Plus le nombre est élevé, plus le saut est important vers le haut ou plus la chute est importante et ainsi de suite. Ceux qui suivent strictement ces directives créeront cependant – pour paraphraser « The Matrix » – une œuvre d’art parfaite et sublime dont le triomphe ne sera égalé que par son échec monumental.

L’inéluctabilité de sa perte est une conséquence de l’imperfection inhérente à tout être humain – ou du moins à tout juge de sumô.
Vingt-trois hommes, tous avec des opinions uniques et différents niveaux de pouvoir et d’influence au sein du groupe, se réunissent le mercredi suivant chaque tournoi pour décider du sort de chaque lutteur de l’Association Japonaise de Sumô. Leurs délibérations sont également tenues secrètes, il est donc impossible pour les étrangers de savoir exactement pourquoi certains lutteurs se retrouvent à certains rangs.
Sans aucun doute, bien que personne ne l’admette, les relations personnelles et la popularité d’un lutteur au sein de l’association jouent également un rôle. La dégringolade d’Osunaarashi en division juryô depuis son rang de maegashira 3 en juillet 2017, par exemple, n’était que la troisième dans l’histoire du sumô, les deux autres s’étant produites dans les années 1700 alors qu’il n’y avait que 12 et 18 hommes respectivement en première division…

Tochinoshin a également été la cible de certaines décisions étranges au cours des années. Ce fait, cependant, ajoute une saveur particulière au prochain tournoi. Dans des circonstances normales, 33 victoires dans trois tournois consécutifs suffisent pour voir un lutteur classé en komusubi ou en sekiwake être promu en ozeki. Tochinoshin a lui commencé sa course pour le deuxième rang le plus élevé du sumô depuis maegashira 3 où il a gagné le tournoi et il a encore réalisé un bilan de victoires à deux chiffres la dernière fois. Quelle est l’influence de chacun de ces faits sur la future décision finale ? C’est impossible à dire. Certaines personnes pensent que 10 ou 11 victoires en mai scelleront la promotion de Tochinoshin alors que pour d’autres, il ne faudra rien de moins qu’un deuxième championnat.

Ce principe d’incertitude est l’une des choses qui rendent le sumô si fascinant et unique. D’autres sports avec des systèmes de points de classement bien définis et facilement calculables passent à côté de la saveur humaine excitante que le sumô tire de son banzuke.

Philippe

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