Pour la sortie en salles aujourd’hui 13 mars de son film « Tu seras sumô », Jill Coulon a accordé à Dosukoi une interview. C’est avec beaucoup de plaisir que nous nous sommes entretenus et que la jeune réalisatrice a répondu aux questions.
Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Jill Coulon : Je m’appelle Jill Coulon, je suis une jeune réalisatrice documentaire. Tu seras Sumô est mon premier film en tant que réalisatrice. Avant cela j’ai travaillé en production notamment sur un film qui s’appelle Bébés réalisé par Thomas Balmès et produit par Alain Chabat.
Le sumô est un sport assez mal connu en France. Comment vous est venue l’idée d’y consacrer un documentaire ?
Jill Coulon : Lors du tournage pour le film Bébés j’ai eu l’occasion d’aller au Japon car on filmait un bébé japonais. C’est aussi une culture que j’aime beaucoup et là-bas j’ai rencontré une dame d’origine mongole qui venait d’aller dans une écurie de sumô pour y faire un documentaire. Elle m’a parlé de ce monde-là que je ne connaissais pas du tout. Je ne suis pas attirée par le sport en général mais le côté humain m’intriguait particulièrement le fait qu’ils soient très jeunes, presque des adolescents. Et pourtant, il est difficile de leur donner un âge.
Pour le film sur les bébés, on tournait aussi en Mongolie, il y avait ce lien et j’avais assisté à de la lutte mongole (Nadam) qui m’avait beaucoup impressionnée. Je me demandais aussi comment quand on est mongol et que l’on vient d’une steppe on peut vivre au Japon et se retrouver dans une écurie de sumô.
Jill Coulon : Pas du tout ! En fait, ça s’est décidé très vite grâce à cette dame mongole qui a épousé Kyokutenzan (NDLR : lutteur mongol de la Oshima beya retraité en 2007). C’est lui qui nous a introduits à la Oshima beya en nous disant qu’un jeune homme allait arriver et que ce n’était pas sûr qu’il y en aurait d’autres prochainement vu qu’il y a de moins en moins de lutteurs. « Si vous voulez suivre un jeune qui commence ce métier, c’est maintenant ! » Branle-bas de combat, on a dû partir de France et tout organiser en seulement 10 jours pour nous rendre à Hokkaido et rencontrer Takuya qui quittait sa famille pour commencer le sumô trois jours après. Je n’ai pas eu le temps de faire beaucoup de recherches. J’avais uniquement quelques informations de bases et j’ai tout découvert en même temps que Takuya car lui non plus ne connaissait rien au monde du sumô. Lui et moi avions le même regarde sur ce sport et on l’a découvert ensemble… Takuya commençait un métier, moi aussi. Nous étions en accord sur l’acheminement de l’apprentissage.
Le sumô est un milieu assez fermé, comment avez-vous eu les autorisations pour le film ? Ça n’a pas été trop difficile ?
Jill Coulon : Effectivement, c’est très difficile de rentrer dans le monde du
sumô en tant qu’étranger, mais encore plus en tant que femme. Il y a eu plusieurs choses, déjà ce contact avec Kyokutenzan qui a beaucoup facilité les choses avec Oshimabeya car il nous a introduit auprès de l’oyakata (entraîneur) et de l’okamisan (NDLR : épouse de l’oyakata). En parallèle, il y avait Thomas Balmès qui travaillait avec la NHK (chaîne télévisée publique japonaise) sur une série de documentaires sur le Japon vu par des Occidentaux. NHK était intéressé par un film et notre contact avec la heya nous a bien aidés.
La fédération nationale de sumô (NSK) qui normalement contrôle tout ce qui se passe ne nous a finalement jamais dit « oui ». On a eu une réponse à la japonaise « si la Oshima beya vous dit oui, on ne vous dira pas non ». Après la fédération nous a ouverte ses portes en nous accordant des autorisations et la NHK nous a donné des badges pour pouvoir aller partout même si l’on n’avait pas le droit de filmer dans le Kokugikan. Finalement, on a été très libre ! Documentaires sur le Japon vu par des Occidentaux. NHK était intéressé par un film et notre contact avec la heya nous a bien aidés.
Le sumô c’est aussi un sport exclusivement masculin. Comment avez-vous été reçue par les lutteurs et le staff ?
Jill Coulon : Au début, on nous a dit que ça allait être un problème d’être une femme (voire deux avec la traductrice) parce que : « vous ne pourrez pas marcher sur le dohyo, être là quand ils dorment, ils sont souvent en caleçon… « De plus « ce sont des jeunes hommes, les femmes ça va le distraire pendant les entraînements « C’était assez compliqué au début et ils étaient plutôt réticents mais comme au départ nous n’étions pas seulement qu’une équipe de filles. Petit à petit, j’ai même réussi à me retrouver qu’avec eux. Je me suis aperçue que ce qui pouvait paraître un handicap au début, c’est finalement avéré être un avantage. Déjà pour Takuya, comme on l’accompagnait depuis le début de son aventure, on était un peu ses grandes sœurs et il était plus facile pour lui de se confier à nous plutôt qu’aux autres lutteurs. De plus, l’okami san qui est la femme de l’ombre et que l’on ne voit jamais dans le film était très heureuse d’avoir des filles car il n’y en a jamais dans les écuries de sumô. Au bout du compte, ça nous a beaucoup aidés.
Les autres lutteurs au début essayaient de draguer, de se mettre en avant ou en sortant de la douche se chatouillaient pour que la serviette tombe, mais le fait que nous soyons là tous les jours, ils ont très vite repris leur vie. De plus, le fait d’être une fille il n’y avait pas de compétition et ils étaient plus naturels.
Qu’est-ce qui vous a le plus étonné au cours de votre tournage ?
Jill Coulon : Le fait qu’ils soient si jeunes et ce changement de vie radicale qui est plus qu’un métier, mais une vocation. Leur dextérité est aussi très étonnante, être si souple et si musclé… On ne se l’imagine pas toujours en les voyant.
Avez-vous des nouvelles de Takuya ? Êtes-vous toujours en contact avec lui ?
Jill Coulon : Takuya ne parle pas du tout anglais et moi je ne parle pas japonais, c’est compliqué de communiquer. Le lien se fait par la traductrice qui est régulièrement en contact avec lui et moi je le suis sur Internet via Facebook. Je vais bientôt aller au Japon et j’en profiterai pour aller le voir.
Quelles ont été vos principales difficultés au cours de votre travail ?
Jill Coulon : La barrière de la langue était la principale difficulté. Quand je filmais des fois, j’arrêtais la caméra au milieu d’une phrase intéressante ou à l’inverse, je laissais tourner quand il ne se disait rien de particulier. Ça a été un gros travail au montage après pour tout traduire, mais le fait de ne pas parler la langue m’a permis d’être plus sensible à l’atmosphère générale et de sentir quand c’était tendu.
La seconde difficulté, c’est que c’était mon premier film, en dehors des autorisations qui sont toujours assez laborieuses à obtenir… Les lutteurs ont un rythme très régulier et ils font les mêmes choses tous les jours, il fallait trouver une dramaturgie pour avoir une histoire à raconter et la faire évoluer.
Quelle vision aviez-vous sur le sumô avant le tournage ? Et après, qu’est-ce qui a changé ?
Jill Coulon : Je ne m’étais jamais intéressée au sumô auparavant et j’avais les mêmes a priori que la plupart des Français « c’est des gros qui se battent sur un dohyo ». Surtout que je venais de travailler sur un film avec des bébés et après ça j’enchaînais sur des sumô qui étaient en caleçon toute la journée à faire des siestes de 4 heures l’après-midi. Je me suis dit « en fait, ce sont des gros bébés ! » Ma vision des choses a changé en voyant à quel point c’est dur physiquement, il faut s’entraîner, avoir de la technique, de la souplesse, de la dextérité. Au début, je n’allais voir que des matchs de Takuya mais à 9 h 00 du matin, le Kokugikan est complètement vide. Après j’ai eu l’occasion d’aller voir Hakuhô contre Asashoryû et là, ma vision a totalement changé, c’est une autre dimension. Il y a la cérémonie, les gens jettent les coussins, il y a une ambiance incroyable ! Évidemment il y a aussi le côté humain, les histoires personnelles de chacun, comment ils vivent leur nouvelle carrière. Maintenant je suis devenue une fan et je regarde les résultats.
Je me souviens d’un lutteur qui n’était pas très bon, il était là depuis une quinzaine d’années et un jour je suis partie en excursion avec eux visiter un aquarium et il me dit : « il y a deux choses que j’adore, regarder les poissons et admirer les étoiles ». Ça m’a beaucoup touché. Il me dit aussi : « au début je n’arrivais pas à dormir avec tous ces gars qui ronflaient autour de moi, mais je vais bientôt prendre ma retraite et je ne sais pas comment je vais réussir à dormir sans eux ».
Le film aura mis du temps pour sortir en salles en France. Pourquoi ?
Jill Coulon : Le film a d’abord été produit par la NHK car il était à l’origine destiné à un public japonais. Il a été diffusé assez rapidement au Japon car il était au départ pour la télévision. Ensuite, le film a été vendu en France et diffusé sur Planète puis sur Arte. Ensuite, un distributeur était intéressé de le sortir en salles parce que l’histoire de Takuya reste intemporelle. C’est un film aussi sur lui, sur l’adolescence (…) le sumô est aussi quelque chose qui n’intéresse pas forcément beaucoup de monde, ça a pris du temps pour se mettre en place.
Le film va-t-il sortir dans d’autres pays ?
Jill Coulon : Non, il ne sort qu’en France mais une édition DVD est prévue. Il y a eu des projections dans des circuits d’éducation et les jeunes sont très intéressés. Les lycéens qui ont le même âge se posent les mêmes questions « que fait-on quand on a 18 ans ? Quel métier on choisit ? Comment on va vivre ? Comment on va gagner son argent ? »
Pourquoi le film a-t-il changé de nom ? (« A normal life, chronique d’un jeune sumô » à l’origine).
Jill Coulon : Le titre original c’est Shinbô qui veut dire « patience, persévérance dans le silence » et pour moi, c’est vraiment le titre du film depuis le début. En France il faut un titre et Une vie normale, c’est la dernière phrase de Takuya dans le film. Le sous-titre Chronique d’un jeune sumô c’est pour que les gens comprennent de quoi on parle. Pour la sortie en salles il y avait déjà beaucoup de titres qui se ressemblent avec le mot « normal » et il nous fallait quelque chose de plus parlant. Le titre, Tu seras sumô traduit l’injection du père pour quelqu’un qui va devenir sumotori. En fait, ça résume assez bien le film.
Quels retours avez-vous le plus souvent de la part des personnes qui découvrent votre film ?
Jill Coulon : La première chose, c’est l’étonnement un peu comme celui que j’ai eu. On pense que c’est juste des gros, mais en fait, ce sont des jeunes avec leur vie. Les questions qui reviennent le plus sont « est-ce qu’ils ont des problèmes de santé ? Qu’est devenu Takuya ? Est-ce qu’ils ont des copines ? »
Quels sont vos projets à venir ?
Jill Coulon : Je travaille depuis un an sur un road movie de car de Chinois qui viennent en Europe pour la première fois et font le tour de 6 pays en 10 jours. Voir comment ils imaginaient l’Europe avant et comment ils la découvrent.
Je réfléchis aussi pour retourner au Japon pour faire quelque chose là-bas, peut-être pas sur le sumô mais c’est un pays que j’apprécie beaucoup. L’Asie en général m’attire toujours.
Jill Coulon : Merci et à bientôt.
Takuya rêvait d’être judoka. À 18 ans pourtant, il intègre une écurie de sumo à Tokyo, poussé par son père : « il n’y a plus de place pour toi à la maison. Ne pense même pas à échouer ! »
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