Aujourd’hui c’est un entretien exclusif que nous propose Jean-Philippe Cabral avec Nikolai IVANOV, plus connu sous son shikona professionnel d’AMURU. Il a lutté au plus haut niveau pendant plus de 15 ans dans le monde du sumô professionnel au Japon, et ce nouveau témoignage glané par Jean-Philippe Cabral, nous amène cette fois-ci jusque dans les plus hauts rangs des lutteurs.
Profitez de l’interview !
Une courte présentation :
Nikolai Yuryevich IVANOV est né le 25 août 1983 né à Lesozavodsk, près de Vladivostok, en Russie Orientale à quelques kilomètres de la frontière chinoise matérialisée par le fleuve Amour.
Il a été le dernier citoyen russe dans le sumo de haut niveau sous le nom de AMURU Mitsuhiro (阿 夢露 光大).
Il a fait ses débuts en mai 2002 et, après une première blessure au genou en 2012 qui l’a fait descendre dans le banzuke, il a atteint la première division makuuchi en novembre 2014. Son plus haut rang a été maegashira 5. Il a combattu dans neuf « hon bashô » en division makuuchi, avant de terminer sa carrière en division makushita.
Shikona : AMURU Mitsuhiro (阿 夢露 光大)
Début en professionnel : Mai 2002
Heya : Onomatsu
Plus haut rang atteint : Maegashira 5 (Novembre 2015)
Scores en sumô professionnel : 411 victoires – 339 défaites – 68 abandons
Retraité (intai) en : Mai 2018
–oOo–
Jean-Philippe Cabral : Bonjour. Comment vas-tu ?
Nikolai Ivanov : Je vais bien, je profite de la vie après mon intai.
JPC : Ton nom de rikishi est connu des fans, mais on connaît moins l’homme qui se cache derrière lui. Peux-tu te présenter rapidement ?
NI : Mon nom de rikishi, le « shikona », est AMURU (阿 夢露). Ce shikona est organisé comme suit :
« A » signifie « à Onomatsubeya », la heya à laquelle j’appartenais. (阿).
« MU » signifie rêver (夢).
« RU » signifie Russie (露).
Cela signifie donc « l’homme qui vient de Russie à Onomatsubeya avec des rêves ». AMURU signifie également « Fleuve Amour » près d’où j’ai vécu dans mon enfance. Tous les « shikona » de rikishi donnés par leur oyakata ont des significations spéciales qui incluent leur histoire.
JPC : Que deviens-tu depuis ton intai ?
NI : Après mon intai, j’ai souhaité devenir entraîneur sportif au Japon. Pendant toute ma vie de sumo, j’ai souvent fait face à des blessures des deux genoux. Aussi, comme les professionnels de santé m’ont toujours soutenu, alors j’ai pensé que je devais rendre la pareille aux Japonais. A l’heure actuelle, je travaille dans la gym sportive pour la promotion de la bonne santé. De plus, j’essaie d’obtenir un diplôme d’entraîneur sportif.
JPC : Comment va ton genou depuis ta sérieuse blessure sur cette articulation ?
NI : Mes genoux sont en bon état. Je n’ai plus aucun problème dans la vie quotidienne ni à l’entraînement.
JPC : Peux-tu nous parler de ton activité professionnelle la plus récente ?
NI : Grâce à tous, je viens de démarrer des sessions de Sumô Online : « NIKOLAY ONLINE SUMO DOJO » (site uniquement en japonais). Ce projet est un cours de sumo via Zoom sur internet, soutenu par la société de gymnastique sportive FLEX TSUDANUMA à qui il appartient. Dans chaque leçon, j’enseigne les mouvements de base du sumo (Shiko, Matawari) et aussi quelques étirements pour se protéger des blessures. Pour le moment, nous le faisons uniquement en japonais. Cependant, d’ici quelques mois, nous allons le diffuser dans le monde entier en anglais. Mon souhait est de l’étendre au monde entier et de répandre la beauté du Sumo dans le monde.
JPC : Es-tu toujours en contact avec le monde du sumô professionnel au Japon ?
NI : Même après mon intai, je continue à aller souvent à asa geiko (l’entraînement du matin) et je regarde quelques tournois de sumo par an. De plus, j’ai gardé de bonnes relations avec mon oyakata et avec des amis rikishi.
JPC : Parlons de ta carrière au Japon : comment as-tu intégré ta heya ?
NI : Je suis donc né et j’ai grandi en Russie. Honnêtement, je n’ai jamais pensé que je deviendrais un jour lutteur de sumo. Un jour, ma sœur aînée s’est mariée avec un japonais. C’est lui qui m’a fait entrer dans le monde du sumo. Et ensuite, ma vie de lutteur de sumo a commencé.
JPC : Quel genre d’Oyakata est Onomatsu -San ? Avais-tu de bons rapports avec lui ?
NI : C’était une personne très stricte. Cependant, il était non seulement strict, mais traitait également les nouveaux arrivants comme s’il était leur père. Il a sérieusement affronté chacun d’eux et les a fait vraiment réfléchir. Je ressens encore sa gentillesse, car j’ai suivi un entraînement rigoureux. Concernant la relation avec lui, je suis toujours en contact avec lui actuellement.
JPC : Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi au Japon ?
NI : Je pensais que la relation entre les aînés et les jeunes était difficile. Cela n’apparaît généralement pas aussi clairement en Russie. Cependant, la relation dans la salle de sumo était claire. Je pense que c’est courant dans la société en général au Japon.
JPC : Et dans l’entraînement ?
NI : À propos de l’entraînement, on dit dans le monde du sumo : « Manger, c’est aussi s’entraîner ». Pour moi, « la formation à l’alimentation » n’a pas été facile. Quand je suis entré à la heya, mon poids n’était que de 85 kilos. Ma constitution corporelle est très mince d’habitude ; on appelle ça « Soppu gata » en langage sumo. Si vous mangez beaucoup mais que vous ne prenez pas de poids, vous êtes ce genre de rikishi. Comme il n’y a pas de culture à base de riz en Russie, c’était pénible pour moi de manger du riz blanc ordinaire tous les jours. C’était l’un des facteurs qui m’ont empêché de prendre du poids.
JPC : Peux-tu nous évoquer le système du Senpai-kohai au sein d’une heya ?
NI : Je pense que les relations humaines dans une écurie de Sumo sont les mêmes que dans de nombreux milieux japonais. Dans une écurie de sumo, un nouveau venu doit prendre soin de l’environnement personnel des personnes plus anciennes et effectuer un large éventail de tâches de nettoyage, de lessive et de cuisine entre les keiko. D’une certaine manière, cela m’a aussi motivé, car il était clair que les personnes énergiques auraient un avantage.
JPC : Comment se déroule un entraînement ?
NI : En fait, il n’y avait pas de planning fixe pour les activités de l’entraînement. Bien sûr, moi, je faisais les mouvements habituels tels que shiko et matawari, mais l’oyakata surveillait la situation de l’ensemble des lutteurs tout autour et se déplaçait selon un horaire différent chaque jour.
JPC : Combien de shiko font les Rikishi en moyenne durant les entraînements ?
NI : En moyenne, 300 par jour…
JPC : Peux-tu nous décrire l’éreintant exercice du Butsugari-keiko dans la keiko-ba ?
NI : « Butsukari-keiko (ぶつかり稽古) » est un exercice d’entraînement du sumo effectué par deux groupes de lutteurs qui s’affrontent : un côté Réception et un côté Attaque. Un lutteur du côté Attaque pousse avec force un lutteur du côté Réception, et essaye de le sortir. Si le lutteur de Réception tombe, il se relève pour continuer à résister passivement. S’il ne peut pas résister à celui qui le pousse, il est obligé de glisser sur le sol tout en restant appuyé sur le cou. Le côté Réception est joué par un lutteur qui est un peu plus fort que le côté Attaque. Du côté de la Réception, on écarte les jambes et on serre les hanches, on écarte les mains et on prend appui sur son pied droit pour recevoir la poussée de l’adversaire. La durée de ces exercices est en moyenne de 10 à 15 minutes par jour.
JPC : Combien de combats d’entraînements faites-vous durant une session ?
NI : Au maximum, 70 combats par session.
JPC : Quels sont les Rikishi qui t’ont marqué durant ta carrière ?
NI : Honnêtement, je n’en ai aucune idée. Cependant j’ai toujours respecté mon oyakata (Ex-Masurao).
JPC : Quels sentiments as-tu ressentis lors de ton accession au rang de Juryô ? Est-ce vraiment un grand changement dans la vie d’un rikishi ?
NI : Il m’a fallu 9 ans pour finalement rejoindre la catégorie Juryô. Bien sûr, j’ai le sentiment que j’étais honnêtement heureux d’y arriver, mais en même temps, le cadre de la vie s’est considérablement élargi : les lutteurs peuvent vivre seuls dans leur chambre lorsqu’ils montent en Juryô, et leurs salaires sont stupéfiants. Mais surtout, comme dans mon pays d’origine, la Russie, seuls les combats de juryô étaient diffusés à la télévision, j’étais heureux de montrer à ma famille ce que je faisais.
JPC : Tu es devenu un solide Rikishi et tu l’as prouvé en devenant Maegashira ; peut-on parler de ta période makuuchi comme le sommet de ta carrière ?
NI : Ce fut le meilleur moment de ma vie de sumo. Je pense que les efforts faits jusqu’alors ont enfin porté leurs fruits.
JPC : As-tu eu sinon un objectif jamais atteint ? Devenir Yokozuna était-il envisageable ?
NI : Pour être honnête, je voulais être beaucoup plus fort. Après m’être blessé aux genoux, je n’ai pas pu obtenir le sumo que je voulais et je me suis senti très déçu. Cependant, à partir de cette expérience, j’ai maintenant un deuxième rêve. Je veux être entraîneur sportif et dire au plus grand nombre possible l’importance de prévenir les blessures. En ce moment, je travaille dur pour réaliser ce rêve.
JPC : Penses-tu que les Mongols sont toujours les meilleurs rikishis en ce moment ?
NI : Oui, c’est la vérité de nos jours dans le monde du sumo japonais. Ils ont aussi l’esprit du sumo dans leur culture. Beaucoup de ces gars expérimentés viennent ici pour faire du sumo japonais en tant que professionnels.
JPC : Quelle était la part de l’entraînement hors heya dans le programme de ta semaine à la heya ?
NI : Je m’entraînais seul 3 fois par semaine, y compris dans une salle de sport.
JPC : Tu as eu sûrement des contacts avec les fans japonais envers les Rikishi ; as-tu des anecdotes à ce sujet ?
NI : Malheureusement, je n’ai pas beaucoup d’histoires intéressantes à ce sujet.
JPC : Parlons de ta patrie ; comment est perçu le Sumô en Russie ?
NI : Le sumo se répand en Russie. Des tournois de matchs amateurs y sont organisés.
JPC : La Russie est-elle désormais une terre de sumô ?
NI : Je pense qu’il y a seulement une minorité de personnes qui font du sumo en Russie. Je crois aussi que l’une de mes missions dans le futur sera d’étendre cette pratique depuis le Japon.
JPC : La Nihon Sumo Kyokai (l’association japonaise du sumô professionnel) t’a-t-elle aidé dans ta reconversion ?
NI : Ce n’est pas leur affaire, je pense. Les soutiens que j’ai autour de moi, qui sont surtout des fans, m’ont beaucoup aidé.
Merci !!
JPC : Hello. How are you?
NI : I’m fine, enjoying life after intai.
JPC : Your rikishi name is well known to the fans, but the man behind it is less known. Can you introduce yourself quickly?
NI : My rikishi name, “Shikona”, is AMURU(阿夢露). So my name is organized as below, “A” means to Ounomatsubeya which I belonged to (阿). “MU” means to dream(夢). “RU” means Russia(露). That means “the man who comes from Russia to Ounomatsubeya with dreams”. Also AMURU means “Amur river” where I lived in nearside in childhood. All rikishi “Shikona” given by Oyakata with special meanings includes their story.
JPC : What becomes of you since your intai?
NI : After intai, I wished to become sports trainer in Japan. Whole my entire sumo life, I always faced both knees injured. Also, always some treatment professionals support me then I was thinking that I would like to return the favor to Japanese people. Right know I’m working in sports gym forces to health promotion. Furthermore, I’m trying to gain trainer license.
JPC : How has your knee been since your serious injury to this joint?
NI : My knees are in good. There are no problems during daily life or training.
JPC : Can you tell us about your most recent professional activity?
NI : Thanks to everyone, I’ve just started “SUMO ONLINE LESSON (NIKOLAY NO ONLINE SUMO DOJYO)” . This project is sumo lesson via zoom on internet supported by the sports gym company (FLEX TSUDANUMA) which belong to. In every lesson, I’m teaching basic sumo movements (Shiko, Matawari) and also some stretches to protect against injuries. Recently, we was doing it only in Japanese language. However, after few months, we are going to broadcast it to all over the world in English language. My wishes are to expand it to the world and to spread the charms of Sumo globally.
JPC : Are you still in touch with the professional sumo world in Japan?
NI : Even after intai, I often go to Asa geiko (Morning keiko) and watch few sumo wrestling tournaments a year. Also, I’m having good relationship with Oyakata and some rikishi friends.
JPC : Let’s talk about your career in Japan: how did you integrate your Heya?
NI : So I was born and raised in Russia. Honestly, I had no idea that I would become sumo wrestler. One day, my older sister got married with Japanese husband. He introduced me to enter the sumo world then my sumo life began.
JPC : What kind of Oyakata is Onomatsu -San? Did you have a good relationship with him?
NI : He was a very strict person. However, he was not only strict, but also treated newcomers like he was their father. He seriously faced each of them and really thought. I really feel his kindness because I got through the rigorous training. About relationship with him, I’m still in contact with him nowadays.
JPC : What was the most difficult for you in Japan?
NI : I thought the relationship between seniors and juniors was difficult. It usually doesn’t appear so clearly in Russia. However, the relationship in the sumo room was clear. I think it is common in the general society of Japan.
JPC : And during the training?
NI : About sumo training, in sumo world we say “Eating is also training”. For me “Eating training” was not easy. When I entered to Heya, my weight is just 187 lb. My body constitution is very slim as usual it calls “Soppu gata” in sumo word. When you are eating a lot but you are not gaining any weight, you are such this kind of rikishi. Since there was no rice-based culture in Russia, it was a pain for me to eat plain white rice every day. That was one of the factors that prevented me from gaining weight.
JPC : Can you tell us about the Senpai-kohai system within a Heya?
NI : I think that the human relationships in the Sumo Room are common in many Japanese societies. In a sumo room, a newcomer must take care of the seniors’ personal surroundings and perform a wide range of tasks in cleaning, laundry, and cooking in the interval between keiko. In a way, it also motivated me because it was clear that strong people would have an advantage.
JPC : How does a training is organized?
NI : Actually, keiko has not decided any schedule. Of course, I did a fixed move such as shiko and matawari, but Oyakata were watching the situation of the surrounding wrestlers and moving on a different schedule each day.
JPC : How many Shiko do the Rikishi on average during training?
NI : Average around 300 times per day.
JPC : Can you describe for us the grueling exercise of Butsugari-keiko in keiko-ba?
NI : “Butukari Keiko” is a practice of sumo performed separately for the receiving side and the hitting side. The hitting side hits with pushing force, stepping out, and when it falls down, it rehearses passively. If you can’t press it when you hit it, you will be forced to slip while being pressed down on your neck, and it will be rolled. The receiving side is performed by a wrestler who is a little stronger than the side that collides. On the receiving side, spread your legs wide and split your hips, spread your hands and step on your right foot, receive the opponent’s hit, and even put your finger on it. Training times are average 10-15 mins up to day.
JPC : How many training fights did you practiced in a session?
NI : Maximum 70 training fights per session.
JPC : Which Rikishi have marked you during your career?
NI : Honestly, I have no idea. However I respected Oyakata ( Ex- Masurao).
JPC : How did you feel when you became a Juryô? Is this really a big change in the life of a rikishi?
NI : It took me 9 years to finally reach Juryo. Of course, I have the feeling that I was honestly happy, but at the same time, the range of life has expanded. Wrestlers can live alone when they go up to Juryo, and their salaries will be staggering. Above all, in my home country of Russia, from only juryo games are shown on TV, so I was glad to tell my family what I was doing.
JPC : You became a strong Rikishi and you proved it by becoming Maegashira; can we speak of your makuuchi period as the peak of your career?
NI : It was the best moment ever on my sumo life. I feel that my efforts so far have paid off.
JPC : Have you otherwise had a goal never achieved? Was becoming Yokozuna possible?
NI : To be honest, I wanted to be much stronger. After injuring my knees, I couldn’t get the sumo I wanted and I felt very disappointed. However, from that experience, I now have a second dream. I want to be the sports trainer and tell as many people as possible the importance of preventing injuries. Right now, I am working hard toward that dream.
JPC : Do you think Mongols are still the best rikishi at the moment?
NI : Yes, that is one of truth nowadays in Japanese sumo world. They have also sumo culture by themselves. So many experienced guys come here to do Japanese sumo as professional.
JPC : How much was non-Heya training in your month’s schedule at the heya?
NI : 3 times per week I did training by myself includes at sports gym.
JPC : You must have had contact with the Japanese fans towards the Rikishi; do you have any anecdotes about this?
NI : Unfortunately, I have not much that interesting story.
JPC : Let’s talk about your homeland; how is Sumô perceived in Russia?
NI : Sumo is spreading in Russia. Amateur match tournaments are being held.
JPC : Is Russia now a land of sumo?
NI : I think there are still a minority of people who do sumo wrestling in Russia. I also believe that one of the missions of the future is that I will send it from Japan to expand it.
JPC : Did the Nihon Sumo Kyokai help you in your career change?
NI : That is not their business, I think. My surrounding supports who are fans did help me a lot.
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