Hakuhô est retourné à son coin pour une troisième fois, s’est saisi d’une autre poignée de sel, son visage donnait une image de concentration, les yeux plissés et fixant le public surexcité dans le Kokugikan de Ryôgoku, l’arène du sumo.
Il se retourna, jeta le sel en l’air et se dirigea vers le centre du dohyô, frappant sur ses cuisses pour se motiver comme il a l’habitude de le faire avant chaque match.
En face du yokozuna originaire de Mongolie s’érigeait le lutteur japonais Kisenosato, dernière barrière entre Hakuhô et un triomphe historique.
Quelques secondes plus tard, Hakuhô repoussait le barrage initial de son adversaire à coups de gifles et de poussées, avant d’encrer ses pieds dans le sol puis saisissant l’élan et la force, expulsa Kisenosato hors du cercle pour sa 13ème victoire d’affilée dans ce tournoi de janvier 2015.
Hakuhô se permit un sourire et hocha la tête en connaissance de cause. Sa 33ème Coupe de l’Empereur a été remportée deux jours avant la finale, l’histoire du sumo était réécrite et sa quête de surpasser le record de yûshô de tous les temps détenu par le légendaire Taihô était arrivée.
Le triomphe du champion de 29 ans vendredi soir dernier était aussi un rappel encore plus frappant que le sport national des japonais était devenu le domaine des lutteurs mongols, à la fois sur le dohyô mais aussi dans les livres d’histoire.
Le sumo était pratiqué uniquement par des lutteurs japonais lors de son premier tournoi organisé au XVIIème siècle jusqu’à il y a un peu plus de 100 ans, quand les lutteurs nés à l’étranger ont commencé eux aussi par y participer.
La première vague de puissants rikishi est venue d’outre-mer et avait un parfum polynésien avec Takamiyama, devenu un précurseur pour les autres lutteurs Hawaïens né à la fin des années 60, avant que Konishiki accède à la notoriété deux décennies plus tard puis l’arrivée d’Akebono devenu le premier yokozuna étranger en 1993.
Le samoan Musashimaru était le deuxième grand champion non-natif quand il a été promu yokozuna en 1999 avec ses 12 titres marquant ainsi le début de la domination étrangère que la Mongolie a repris avec le très controversé Asashôryû en tête.
Actuellement, les trois yokozuna sont mongols – Hakuhô, Harumafuji et Kakuryû – le dernier grand champion japonais (Takanohana) a pris sa retraite en 2003 et le dernier vainqueur d’un tournoi c’était il y a neuf ans lorsque Tochiazuma remporta son troisième et dernier basho.
Alors que les fans japonais déplorent un manque de concurrents japonais au plus haut niveau, monsieur Makoto Takeuchi directeur du musée Edo-Tokyo et qui enseigne l’histoire de ce sport aux nouvelles recrues du sumo est en accord avec cette situation.
Le musée situé juste à côté du Kokugikan dans le quartier de Ryôgoku à Sumida.
« En tant que japonais, il est regrettable que le record qui était détenu par un japonais (Taihô avait la nationalité japonaise mais son père était Ukrainien, NDLR) soit rompu par un étranger, c’est vrai » a déclaré M. Takeuchi. « Je ne me soucie pas de la nationalité des lutteurs, tant qu’ils font des efforts pour comprendre et apprendre ce que signifie le sumo« .
L’essence du sumo pour la plupart des japonais c’est « hinkaku » (la dignité), quelque chose qu’un yokozuna doit posséder pour gagner le respect des fans, des médias et de ses pairs et ainsi l’aider à cultiver la grandeur d’un héritage à la fois pendant et après sa carrière de lutteur.
« Le sumo n’est pas seulement un sport… ce n’est pas simplement de savoir qui va gagner ou perdre. En plus des résultats, les lutteurs doivent avoir cet ‘ »hinkaku », la beauté dans chaque mouvement est un reflet de leur dignité que nous pouvons apprécier » ajoute M. Takeuchi.
« Le sumo a cette valeur supplémentaire que l’on ne retrouve pas dans les autres sports« .
Un manque perçu de « hinkaku » a gâché le règne d’Asashôryû comme yokozuna, portant préjudice au mongol vis à vis des autorités du sumo au cours d’une carrière où il a pu remporter 25 tournois de manière impressionnante mais qui a été écourtée par un départ en retraite anticipée forcée en 2010 suite à une accusation d’agression.
Hakuhô, de son vrai nom Monkhbatyn Davaajargal né à Oulan-Bator, a évité de telles controverses et a gravi les échelons grâce à sa force, son agilité et sa souplesse.
Alors qu’il a été semoncé à partir d’un commentaire qu’il a fait lundi (lire l’article) dans lequel il critiquait le jugement de la journée de vendredi lors du tournoi. Il a présenté ses excuses à son entraîneur pour le manquement à l’étiquette. « Il ne devrait pas accorder d’importance à la couleur de sa peau« , Hakuhô s’est plaint lundi car un deuxième combat (torinaoshi) avait été ordonné par les juges après un premier combat concluant où il avait battu l’ôzeki Kisenosato.
Beaucoup ont comparé son éducation rurale en Mongolie à celle des grands lutteurs japonais d’autrefois, capables de développer sa puissance de base par l’équitation et à transporter des objets lourds dès sa jeunesse.
Sa formation et sa détermination le distinguait de ses camarades ainsi que de ses rivaux dans la heya mais comme Asashôryû, il a dû lutter pour conquérir le public japonais avec une tendance à trop manifester sa satisfaction lors des victoires et un certain mépris envers les opposants vaincus.
C’est peut être suite à sa rencontre avec Taihô en 2008 qu’il est devenu l’image d’un bon père de famille, d’un bon époux contribuant à le calmer au fur et à mesure qu’il marchait vers le succès.
« Même s’il a plus de victoires que Taihô, cela ne signifie pas qu’il l’a dépassé humainement » déclare M.Takeuchi.
« Hakuhô doit se donner du crédit, cependant, il essaie vraiment de s’approcher autant que possible des grands champions historiques. Non seulement il veut lutter comme eux mais il vaut aussi devenir un homme comme eux.«
Hakuhô en battant Kisenosato lors du 13ème jour de l’Hatsu basho 2015 entre dans l’histoire
Source : Japan Times par Reuters / Kyodo