Il y a deux ans, une exposition originale ayant pour thème principal le sumo se tenait à Bordeaux, organisée par l’association Regard 9. Différents artistes avaient répondu présent et parmi eux David Prudhomme, un dessinateur de bandes dessinées qui nous livrait une vision différente du sumo teintée d’humour. Aujourd’hui David répond à nos questions.
Bonjour David, pouvez-vous vous présenter ?
David Prudhomme : Je suis né en 1969. Je fais des bandes dessinées.
Comment avez-vous réagi quand on vous a demandé de faire des dessins sur le sumo ?
David Prudhomme : Il était prévu que je me rende à Fukuoka et comme la date du séjour coïncidait avec le moment du Kyushu Basho de novembre 2012, on m’a alors proposé d’assister au tournoi. À l’origine, je n’étais censé faire que quelques croquis du tournoi. Mais j’ai été pris au jeu…
Comment avez-vous été choisi pour représenter la France lors du festival de Bordeaux ?
David Prudhomme : On peut reformuler la question. En réalité, je suis simplement parti dans le cadre de l’anniversaire du jumelage entre Bordeaux et Fukuoka, car le festival de Bandes dessinées « Regard 9 » qui se déroule à Bordeaux, évitant le biais des classiques séances de dédicaces, présente de la bande dessinée autrement, à travers expositions et performances de dessins live. C’est Le festival regard 9 qui m’a choisi et le comité de jumelage des deux villes a permis ce voyage.
Était-ce votre premier voyage au Japon ? Comment ça s’est passé ?
David Prudhomme : J’ai été choisi notamment parce que j’étais déjà allé au Japon. En 2004 et déjà à Fukuoka. Cette première fois nous étions huit auteurs de bande dessinée français à être conviés au Japon pour raconter ce que nous y découvrions. Huit Japonais faisaient de même de leur côté racontant leur Japon. L’ensemble est paru chez Casterman sous le titre « Japon ». C’est Frédéric Boilet qui a supervisé le livre, à cette époque il vivait à Tokyo.
Ensuite je suis resté un mois au Japon. Circulant à travers le pays via le rail pass. Expérience absolument grandiose. D’abord, c’est mon ventre qui a été conquis puis petit à petit tout mon être. J’ai eu la chance de vivre chez deux familles à Fukuoka et de me familiariser donc un peu avec le quotidien.
Et cette première rencontre avec les sumotoris ?
Nous y sommes arrivés très tôt et j’ai suivi le keiko en multipliant les croquis dans un coin de la pièce. L’odeur du Chankonabe montant d’heure en heure tandis que le souffle des lutteurs devenait lui aussi plus intense. J’ai essayé d’être le plus discret possible. D’abord respecter leur concentration et leur préparation. Par chance la pratique du croquis est quelque chose de silencieux et peu envahissant.
Le sumô est-il un sujet facile à appréhender pour un artiste européen ?
David Prudhomme : Cela dépend du niveau de contact avec cette culture du Sumo. Personnellement, de par le peu de temps de contact que j’avais, j’ai envisagé d’emblée que je ne saurais voir que les couches superficielles de ce monde. Même si je me suis documenté, je savais qu’avec mon inexpérience, je ne pourrais QUE poser un regard malgré tout « exotique »…
Quelle image aviez-vous du sumo avant cette expérience ?
David Prudhomme : Aucune préconçue. Je me suis nourri de la culture graphique japonaise ancienne, et notamment celle relative au sumo. La lecture des règles et les « Mémoires d’un lutteur de sumô » de Kazuhiro Kirishima.
Et après les avoir suivis, qu’est-ce qui a changé ?
David Prudhomme : Tout. Mais n’étant présent que pendant cette veille de tournoi et durant les combats, je me suis astreint à retranscrire en dessin les scènes vues. La réalité des impacts, la prise de conscience des codes, des volumes et de la densité athlétique des corps, le temps particulier qui règne, le rythme des combats et des journées de tournoi. De la beauté du Banzuke à la flamboyance des kesho-mawashi et des tenues des gyôji, l’ensemble de ce qui se passe sur et autour du dohyô, les chants, le public aussi, tout m’a fasciné.
J’ai multiplié les croquis et une fois rentré à Bordeaux, ce que j’avais enregistré a commencé à se déployer. Le phénomène s’est intensifié, j’avais des visions plastiques, graphiques de ce que j’avais ressenti. Alors j’ai dessiné ces sensations. Il m’en venait sans arrêt… Le shikiri, le nirami-ai, Le tachi ai, les préparations dans le hanamichi, les juges, les rituels du combat, la lutte contre la pesanteur, l’argile du dohyô, le sel, l’eau, la sueur, les couleurs, la puissance et l’agilité, voyez-vous, j’ai morcelé et recomposé ce monde à ma guise au travers de suites de dessins.
Était-ce facile de vous y faire accepter ?
David Prudhomme : Un petit gaijin avec un carnet de croquis est un animal bien inoffensif.
Quelles ont été les réactions des lutteurs en voyant vos dessins ?
David Prudhomme : Je dirais, de la retenue. Ils ne m’ont jeté aucun regard. Sauf un ou deux à la dérobée. Eux et moi restions, il me semble, respectueux, concentrés et timides. Un petit signe de la part d’Oga (c’est bien son nom ?) le préposé au yumitori-shiki dans les coulisses fut un encouragement.
Votre art oscille entre la caricature et l’humour, mais on sent pourtant une certaine affection et peut-être un respect des lutteurs. Est-ce bien le sentiment que vous vouliez partager ?
Dès mon retour, encore empreint de respect et de fascination pour ce que j’avais vu j’ai commencé à rêver. Par exemple, un impact, comment en restituer non pas l’exactitude mais la sensation ? Les réponses peuvent être diverses… Dès que j’avais une vision, je la posais sur le papier. Un travail très intense de 3 mois s’est conclu par 250 dessins et une grande exposition dans une ancienne église de Bordeaux avec 600 m² d’espace.
Lors de l’exposition, nous avons notamment reconstitué l’apparence d’un dohyô. Le toit était une architecture de bambous (conçue par mon beau-père) d’où pendaient des cartons plumes (un carton extrêmement léger et blanc). Sur ces cartons (une trentaine) peints au pinceau et à l’encre de Chine recto-verso, deux lutteurs, parfois en entier, parfois des parties de corps. Nous avons disposé ces cartons de manière à reconstituer l’enchaînement d’un combat dans l’espace, en suspension. C’est une sorte de bande dessinée dans l’espace où chaque face d’un carton serait une case. Leur disposition dessinant le combat.
Ce qui m’intéressait, parce que paradoxal, était de dessiner des lutteurs de sumo sur du carton plume suspendu en l’air. Sur le pourtour du dohyô couraient des papiers blancs sur lesquels étaient séquencés à l’encre verte noire et rouge le déroulement du shiko , puis le shikiri. Il y a aussi eu ce dessin où j’ai représenté les lutteurs comme deux montagnes de roche face à face avec une petite vallée les séparant nettoyée au balai par deux minuscules préposés. Et puis, un lutteur volcan qu’une petite foule vient nourrir…
Avez-vous été inspiré par l’art graphique japonais ou y avez-vous déjà fait référence ?
David Prudhomme : Les estampes de Sharaku m’ont beaucoup marqué. J’ai depuis longtemps une admiration pour Hirogishe… mais y faire référence directement non…
Aimeriez-vous faire un album sur le thème du sumo ?
Des cartels expliquant les différentes scènes initiaient aux rites du sumo, mais je crois n’avoir aucun autre discours à tenir sur le sumo. J’ai l’impression d’avoir dit ce que je pouvais en l’état actuel de mes connaissances à travers ces suites de dessins. On m’a proposé d’en faire un livre, j’ai refusé… l’impression d’avoir livré mon combat qui ne peut se rejouer sur papier. Je rêverais en revanche que l’exposition puisse être remontée, ailleurs, à Paris ou pourquoi pas au Japon… c’est un rêve…
Une anecdote en particulier à nous raconter ?
David Prudhomme : Le fait que le commissaire de l’exposition, Eric Audebert, qui pèse 50 kilos et moi-même nous saluons depuis d’un « oss».
Nous remercions David Prudhomme pour cette interview très riche et les très nombreuses photos qu’il a généreusement voulu partager avec nous.
N’hésitez pas à aller faire un tour sur son blog pour y admirer ses autres travaux. Nous vous invitons aussi à (re)découvrir ses nombreuses BD comme l’excellent Rébétiko ou plus récemment La traversée du Louvre.
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